- aux frontières du Sabbat

Gisèle, poitrine éternelle

Gisèle, septante années vaillantes, se demanda diable ce qu’elle faisait là. 
«Que fais-je fais dans cette gare centrale ?», se dit-elle. 
Premier individu à occuper les lieux, quand bien même malgré soi, après l’omnipotent prénom personnel, elle chercha un moment parmi les mots-clefs l’un ou l’autre qui fasse écho, explique ou justifie sa présence. Cria «Eho !» cinq fois, provoquant quinze échos qui sonnèrent en canon dans la cathédrale virtuelle. Chaque écho d’origine revenant atténué de 2 dB, du fait des paramètres du blog laissé par défaut. 

L’auteur pensa qu’il se voilait tout puissant - «me voilà tout puissant» disait la pensée avant transposition aléatoire, et elle recomptait pour elle-même :
   petit a/ l’univers de ma perception
   petit b/ un être de chair et sang
donc deux. Pas mal ! 

Après l’amortissement asymptotique des échos régnait encore la question de Gisèle, magnifiée par le silence. Ainsi que Gisèle, bien sûr -qui d’autre?- bien qu’elle-même ne régna dans cet espace que sur l’espace propre de sa personne. Et ce règne est parfois fragile, équilibre précaire d’angoisse et de doute que chacun dose à sa manière. Fifty/fifty font certains, quand d’autres varient les mélanges, tentent une sinusoïde, vont par les extrêmes... 

L’auteur murmura alors en voix off, «je l’ai choisie pour sa poitrine», mais on entendit rien, car il s’agissait d’un off objectif, coupé au montage. Et de fait, les deux mamelles de Giselle régnaient en maîtres sur l’espace et la gravité, indiscutablement, malgré leur âge et la faible lumière tombant des voûtes. 
Ces alpha et oméga que tout l’univers avait palpé, caressé, et ceux qui n’avaient pu ni palper ni caresser, car ils n’étaient pas nés, car ils étaient retenus au travail, ou en voyage, ou pour raison médicale, ou déjà morts!, ceux-là avaient le regard figé. Et on voyait dans leurs orbites écarquillés le reflet des deux loches, soit quatre seins par paire d’yeux qui à l’inverse de l’écho amplifiaient leur magnificence. 

A ces deux univers là, ces hordes de mains palpeuses et monceaux d’yeux rougis par l’effort, «bonjour», dit l’auteur, ce coup-ci à voix haute. Mais dans cette foule autrement plus dense que la Saint-Lazare du lundi matin 8h30 un jour de rentrée, Gisèle ne sut dire si elle avait distingué un mot la concernant. 
Car alors cette gare, peuplée d’imaginaire, d’une foule de reflet de seins, de mains tendues en veux-tu en voilà, et d’une femme nue à la splendide poitrine, cette gare était devenue un impossible capharnaüm bruissant de mille rumeurs.
Aux seins de Gisèle. 
Au peuple de la terre. 
La gare, enfin bondée, reconnaissante. 


Au recensement de l’année suivante un panneau fut inauguré à grand frais.
La cohorte ayant disparu en marmonnant dès le premier soir j’ai piscine, je reviens dans cinq minutes, après que Gisèle avait enfilé un soutient-gorge en laine jaune (soirée bien fraîche de mémoire de blog), il indique : «Gare Centrale, 1 hab.». 
Gisèle tourne autour, depuis longtemps maintenant, que faire d'autre?, un an déjà ! Elle piétine un peu à la longue. 

La passion de son pas, ou ce qu’il en reste, ou peut-être la pression sous ses semelles, qu’on pourra sans nul doute mettre en rapport avec le poids d’une de ses loloches multiplié par deux et quelques et divisé par la surface d'un pied, ou encore sera-ce la piètre qualité du revêtement de sol, ou disons finalement quelque habile combinaison de tout ça et quelques autres choses : tout ça et quelques ont creusé un sillon d’une circularité remarquable. On voudrait croire au chemin d’un âne de bât, cependant la comparaison est datée avant d’être fort irrévérencieuse, surtout rapport à une dame, de surcroît la seule en présence. D’ailleurs, quel âge avez-vous pour savoir des fontaines à traction animale ? Et qui êtes-vous, d’abord ? Non mais bordel, c’est une gare privée ici, alors cassez-vous avec vos croirances à la con, remballez-moi ces commentaires à venir, du balais. 
Mais bref, imaginez un tronc-sillon-torique régulier : en termes formels, c’est plutôt de cela qu'il s'agit. Si vous étiez quelque curieux technophile on aurait évoqué un chemin de roulement avec des sanglots dans la voix, avant d’aborder les mérites comparés des calendriers Pirelli et Michelin. Rapidement tombés d’accord sur le cumul des arguments morphologiques de l’un nous nous serions juré amitié éternelle, scellant cette connivence bien méritée comme il se doigt, d’un high five ou quelque autre gestuelle absurde, exubérante ou ridicule propre aux gens cool que si vous ne connaissez vraiment pas, on se demande. Mais bon. 
Enlève ton soutif, Gisèle. C’est une gare irrespectable. 
On voulait des seins. En voilà deux.
Merci.