- aux frontières du Sabbat

Paterne du désordre

Je vous le dis : il faut encore porter en soi un chaos,
pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante.
Je vous le dis : vous portez encore un chaos en vous.

C'est pas moi qui l'affirme. Il s'agit même d'un principe scientifique : tout est question de désordre. Même que, fondamental, le principe. Le désordre partout, toujours plus de désordre. L'entropie se gave, c'est la plus grande banque du monde !
A chaque pensée, chaque geste, idée, action, même pire, inaction!, vacuité!, elle prend son dû. Le petit pourcentage de chaos est la taxe la mieux recouvrée du coin.


Mais, la loi et l'ordre ? Pteu !
Inventions anarchistes, délires de pochtrons, sont des bulles géniales où concentrer l'énergie du chaos. Façon big bang. Au jour suivant, tout de relents festifs, de renvois mal aiguillés et indomptables xylocéphalées, on retrouve ce furoncle de loi, beurp, et d'ordre, prout, qu'il faut percer s'il n'éclate pas. Alors pan!, double dose de désordre, infection chaotique, septicémie systémique, tout pire, tout plus grave encore qu'à l'origine.

Et l'homme, me direz-vous ?
L'homme, pauvre bête, n'est qu'un réceptacle de plus à cet usage. Façonné avec soin et rigueur par de braves ouvriers -si, si, des comme on imagine, salopette de coton grossier bleu délavée, mains épaisses, regard plissé et clope au bec- il est dédié tout entier à la cause. Au désordre.
Sous des apprêts parfois séduisants, la machinerie de grourg blop glorologlorolo que chacun peu identifier en y collant l'oreille travaille temps plein soir et week-end, à pondre carcinomes, gas, tissus gras et tumeurs... Un festival quotidien d'oncologie et autres joyeusetés. A coup d'apoptoses et de macrophages l'ensemble semble subsister un instant. Se maintien brièvement en suspension près l'idéale fesse de bébé lisse et rose, puis penche glisse plonge et bientôt se fracasse plus bas que terre.


Mieux encore, ce temple des processus vitaux se distingue par les idées.
Les idées, ah ! Sheitan nous en garde !
Essayez voir de penser. Tous, nous savons de quoi il retourne. D'évidence, même si le nions un peu, il n'y a pas plus affligeant et désordonné que l'idée humaine.
Le désordre partout. Ah!, capharnaüm à tous les étages, festival d'inordination, grand chambardement. Admirons quel pinacle la pensée humaine atteint à travers cette sélection appliquée des plus fins esprits de notre temps :


Arrivé à ce point de la lecture, mollement convaincu, faîtes moi le plaisir de déranger votre chambre!, votre vie!, ouvrez toutes fenêtres aux fougueux courants d'air.
Faîtes sauter les tiroirs.
Dérangez les classeurs.
Mettez le linge sale dans un coffre fort. A la machine, l'argent !

Bon sang, qu'on se sent mieux, déjà...
Dans le chaos enfin assumé de ta vie, assieds-toi, camarade.
Rien ne vaut la peine de rien, alors restons là, tu veux. Prends un verre du meilleurs, du plus fort, et vois comme ta vie ne vaut la peine, ne l'a jamais valu.

Demain au réveil, mon ami, pas de réveil !
Mon poing sur la gueule la machine bruyante, écrase encore un songe à la santé du tord boyau qui vient, qu'attendra au bord du lit s'il est plus temps, va et ronfle.

Tout est question de désordre, et cependant.
Je tiens personnellement à jour la liste des ouat'mille désordres qui m'accaparent, classés par ordre alphanumérique.
Du cycle de nos chaos un schéma global émerge. La matrice du désordre est là, cachée au cœur du foutoir. Ton chaos, mon chaos. Essayons encore. Mon chaos, ton chaos. Chacun par sa paterne isolé gagnerait à syntoniser avec autrui. A l'internationale des désordres, au club des désorganisés, au merdier qui j'en suis certain dominera sans partage, mesdames, messieurs, je lève mon verre.
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Mais tout n'est que désordre, mon bon. Désordre que les végétaux, les minéraux et les bêtes ; désordre que la multitude des races humaines ; désordre que la vie des hommes, la pensée, l'histoire, les batailles, les inventions, le commerce, les arts ; désordre que les théories, les passions, les systèmes. Ça à toujours été comme ça. Pourquoi voulez-vous y mettre de l'ordre ? Quel ordre ? Que cherchez-vous ? Il n'y a pas de vérité. Il n'y a que l'action, l'action qui obéit à un million de mobiles différents, l'action éphémère, l'action qui subit toutes les contingences possibles et imaginables, l'action antagoniste. La vie. La vie c'est le crime, le vol, la jalousie, la faim, la mensonge, le foutre, la bêtise, les maladies, les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, des monceaux de cadavres.

Les ongles poussent

les ongles poussent les cheveux grandissent
c'est à ça et plein d'autres petits signes qu'on peut dire, tiens, 
il passe, il passe, il n'arrête pas de passer cependant on retourne à des choses et d'autres mais ça n'empêche pas 

alors par exemple un jour tu te décides à couper un ou deux ongles et décidément tu vois comme ils sautent et retombent au claquement de l'outil et voilà, ça fait des jours, des semaines, des mois, qu'on est là sur la mer, qu'on se connaît, qu'on boit, qu'on se prive, qu'on grandit en s'enrichissant et en s'appauvrissant, mais c'est toujours le même corps et les même désirs, mais c'est toujours la même ville saison après saison, quel que soit le continent, la même femme, le même homme cependant demain ce sera encore lundi, comme tous les jours, comme tous les lundi, il prend son temps pour passer le con, et 
si tu voudrais, en courant un peu, à peine beaucoup, 
on se rattraperait et ce serait tous les instants d'éternité qu'il faut, 
pas un de plus, pas un de moins, juste ceux là et pas les autres, tu vois ?

donc bref, un jour, un signal, un autre jour non, comme les vagues, comme la pluie, tout varie un jour toujours varie toujours. il reste les ongles, les idées, il ne reste plus ni ongle, ni idée. 
juste le temps. 
juste le temps...