L'action
n'est rien.
L'action
n'est que la suite du cheminement de la pensée.
A la fois
conséquence, et sanction de l'idée.
Le geste qui
nous condamne n'y peut mais – il n'est que suite irrémédiable de
la pensée. La pensée qui par oh et par ah, un jour nous a trahi. Un
jour, un trois fois rien, un peut-être, devient la main qui touche,
la main qui prend, le geste qu'on sanctionnera.
L'esprit
prévoyant, par l'histoire échaudé, met en place des trésors de
rêve et d'imagination pour s'entraîner au cheminement des actes,
travailler les scénarios du réel. Mais à la fin, toujours la
fin !, un réveil sonne, et voilà qu'il faut reprendre le
réel, bras le corps et pleine gueule, comme fait la mer sur le marin
un instant distrait.
Quand je
l'exprime ici, l'action a déjà eu lieu.
C'est ici le
temps du cheminement d'aval, la suite des pensées... L'action a eu
lieu un mercredi soir de septembre, nuit tiède et riche, tant pour
les voisins qui invariablement matèrent, que pour nos deux lurons,
qu'étaient pas en reste d'agir et voir, et boire et jouir.
Vient
maintenant le temps de l'expression.
Dans ce
présent relatif, un dimanche en l'occurrence, je viens à la porte
de la nigaude.
Ah ! la
porte...
Ah !,
la nigaude...
Dans mes
bras, un poulet sacrifié du midi, jaune du Périgord, croustillant
de la cuisson et parfumé de tous délices. Comme le voisin m'a
facilité l'accès, j'apparais par surprise, et ce n'est que la
première.
Puis comme
elle présente et tend sa bouche pour une étreinte entre amants, je
m'écarte un petit peu ; établis la tension, l'état de guerre
latente. Embrassez-vous, quand même, acteurs de fable ! Ils
s'embrassent, quand même. Mais la guerre sourdre et sourdra
désormais, ya pas de raison.
Sourire, ah,
oh.
Bonsoir,
hihi.
Les amants
sont complices, avant d'être ennemis. Ils s'aiment d'amanterie,
avant de se haïr comme pairs de l'humanité divagante !
Souhaitant sortir de ces phrases monocordes, je tente établir le
contexte d'un dialogue.
- Fait frais, hein ? Faisait plus chaud ce matin.
Et tout à
trac :
- J'imagine qu'étant enfin réunis, nous voilà prêts pour une
bonne discussion, oui ?
Ses yeux,
déjà révulsés par le refus de baiser originel, partent comme des
rouleaux de machine à sous, tournant encore et encore dans leurs
orbites. Comme les signes du gain potentiel se succèdent dans chaque
fenêtre oculaire - effroi, stupeur, abandon, désolation, ataraxie -
j'hésite à lui tordre l'oreille gauche pour arrêter le mouvement
et encaisser mon dû.
- Quelle discussion, de quoi discussion, pourquoi discussion ?
Essaye-t-elle
Une phrase
me vient alors, autrement plus chaotique et maladroite que ce que
prétend la transcription qui suit. Pas très adroite pour autant,
c'est cependant elle qui suit dans ce texte, dans cette vérité
écrite qui vaut doublement, par sa nature écrite d'une part, par
l’épellation du mot « vérité » qui d'autre part et
de toute part s'échappe alors que les signes remplissent la page.
- Eh bien, j'imagine qu'on pourrait parler de nos actes. Actes
délicieux de mercredi dernier. Parler d'eux en rapport avec ta
proposition de nous unir pour voir, de nous lier un instant pour
savoir, sinon ce qui nous unit de fait, du moins ce que notre union
peut être et devenir réellement
Tournent les yeux, encore, encore, et stupeur, toujours
- Comment que, pourquoi, est-ce que, tu veux dire ?
J'y reviens. Pour vous. Pour elle. Pour nous tous.
Reprends l'énoncé de ma vérité, celle vécue avant qu'écrite.
Mon souvenir du samedi précédent. Car avant d'être ce dimanche là,
qu'on appellera D+7 par commodité, par faiblesse, par penchant
symboliste, c'était un beau samedi 's moins un' (S-1), huit jours
plus tôt...
Ce samedi là, elle m'a dit, et c'est forcément vrai puisque c'est
écrit, et plus vrai encore par ce que confère l'accent sincère et
le soin porté à la formulation (formulation qu'on aura relevé en
pensant, ah, mais il joue du verbe comme un vrai petit gars ce
saligaud, c'est l'épate), elle m'a déclaré, ce S-1, qu'elle
consentait à l'amour physique entre nous.
« J'ai envie d'amour physique entre nous » n'est pas la
formule qu'elle employa alors, certes non, ni un « je veux »
direct et cristallin, mais une formule assez belle et joliment
directe, qu'on me pardonnera de ne savoir transcrire ni sublimer,
notant au passage que l'expression de mon propos ne souffre par
semblable distorsion, ou tout le moins qu'il y a inégalité face à
la transcription.
Ainsi elle voulait, car enfin nous voulions, et chaque fois un peu
plus, en dépit de la ligne rouge qu'on avait pris soin de tracer,
rare précaution, juste au dessus du pubis. Car le désir n'est pas
en cela semblable à la lumière du jour. Il se cumule et, day in
day off, sa quantification si elle était possible irait
asymptotique ascendante, et sa convertibilité au dollar US ferait de
nous des hommes riches - ou un homme et une femme riches, dans le cas
du statut toujours plus commun ces jours-ci de la stricte séparation
des biens.
Concernant
les meubles meublants acquis à compter de ce jour, les meubles
acquis par les partenaires ensemble ou séparément seront soumis aux
règles de l’indivision dans les proportions suivantes : pour
elle à proportion du pourcentage payé sur les meubles ou à défaut
de la moitié ; pour lui à proportion du pourcentage payé sur
les meubles ou à défaut de la moitié.
Alors dans mon entendement, je recevais ce 'S moins un' là son aveu
que le désir est plus fort, plus fort le désir que l'ensemble des
principes qui devait la préserver de moi, patachon assumé, exalté
et revendiqué. T'es sûre oui, j'ai dit ? Oui. C'était oui.
Ce samedi là, malgré ses principes de monogamie et histoires de
long terme, absolue fidélité et bijection totale des êtres -toutes
notions qu'elle porte bien haut et devant comme presque lisible dans
son regard, sur son visage-, ce samedi là, plus de malgré, plus de
principe. Nos titillements et autres incursions de proximité, la
langue, l’œil, la main, le genou, tous coupables !, tous
acquités !, avaient eu raison de toute prudence, de tout
principe.
Le dimanche nous nous revîmes.
C'était dimanche 'D zéro' de son vrai nom, le dimanche charnière,
origine de notre référentiel narratif. Alors je lui dis « oui »,
pas uniquement parce qu'un 'non' semblait malvenu à l'origine du
repère, mais « oui », carrément, étant partant pour la
botte et vaille que vaille, advienne que pourra. Parce que je crois
au principe de réalité, aussi, qui gouverne tout, que l'idée n'est
rien qu'un sot qui tourne autour d'un puits du monde advenu, sec et
stérile à jamais.
Le lundi suivant, 'L plus un', nous nous croisons à nouveau.
Décidément, ces deux là sont à la colle, finira par penser le
lecteur attentif. Pas un jour sans que. Mais tout est question de
volume, car je tairais l'horaire de la rencontre et le planning des
heures, plus nombreuses chaque jour, qui précèdent et succèdent à
l'instant présent.
Me voyant la voir, la voyant me voir, on se vit, on se parla. Elle me
dit, comme pour rappel, comme par remords, que dans sa conception à
elle, l'homme la femme c'est un et un, deux parfois, mais jamais
plus. Rappel à sa règle, exception dans l'espace que nous avons
convenu d'ouvrir d'un tango ivre le jour 'S moins un'.
C'est ce que je comprenais alors.
C'est notre erreur à tous, de penser comprendre alors !
Comprendre alors que la compréhension de la pensée reste une
éternelle utopie. Car de fait la pensée passe comme le cours du
temps, ne laissant ça et là que quelques grains de sablonneux qu'on
prend, qu'on analyse, pour mémoire, pour compréhension. Vanité
ultime ! Des grains ! Ce ne sont que des grains !
Voilà pour les idées. Au plus pressés d'entre les lecteurs elles
auront déjà brisé les pattes, fermé les yeux. S'ils me
connaissent ils penseront diable, ce qu'il cause ! Jamais
n'agit ! Cependant l'idée, à petites touches et grosses
bévues, l'air de pas y toucher : avait déjà édifié
l'action.
Puis enfin, ce fut mercredi.
Mercredi. Ce 'M plus trois' que certains lecteurs de nouvelles
coquines aiment voir décrit avec force détails, et bruits, et
couleurs.
L'un appelant l'autre, ces lecteurs n'auront le plus souvent lu que
quelques nouvelles de cette acabit avant de verser dans le visionnage
de films à caractère pornographique. Puis, suivant cette logique
irréversible du mieux disant, la somme de leur fantasmes et
frustrations sexuels ira croissante, malgré quelques dents de scie.
Fantasme et frustration, je précise, qu'il convient de mettre en
regard de coïts sinon rares, au moins décevants, dans l'ensemble.
Et, ne négligeant toujours aucun détail, scie de qualité variable,
selon qu'on aura visé à l'achat un objet pérenne et fonctionnel,
ou choisit avec empressement vil prix et dent grossière dans quelque
mauvais gourbi.
Précisions utiles, car dans la réalité qui nous a été refourgué,
qu'on assumera faute de mieux, la femme ni l'homme ne sont comme à
l'écran ou sur les images glacées des magazines. Les oh, les ah,
viennent moins scandés. On crie moins, on crie peu. Et ce
déguisement d'écolière tombe vilain, ce petit bouton vient mal au
regard, la lumière n'accroche pas pareil, vous trouvez pas ? Même
que à la fin le monsieur à la télé secouait sa verge, envoyant
partout de longs jets de sperme en grognant, et ça, rien que de
penser au ménage, j'ai jamais osé.
La
pornographie, répétons-le, dévoie gravement la sexualité des
jeunes qui s'imaginent en visionnant des films que ces pratiques et
ces postures constituent les figures imposées de l'étreinte
amoureuse, tout comme d'ailleurs le roman dévoie gravement leur vie
sentimentale en leur faisant accroire que le romantisme est le secret
de la relation amoureuse alors que celle-ci commence en réalité
comme nous le savons tous par une bonne fellation et se termine par
une sodomie brutale suivie d'une éjaculation faciale.
Pour donner un cadre à ce 'M plus 3' j'avais préparé un petit
frichti. Lancé des œufs dans la crème fleurette, salé, poivré,
muscadé. Enfourné et laissé prendre. Préparé une crème fouettée
à la vanille afin de jeter un voile pudique sur les babas au rhum
qui attendaient pas loin. Collé une salade sur le bord de
l'assiette, vite fait, bien fait, meilleur effet.
Le vin, aussi, et la bonne tiédeur de l'air, tout était de bonne
intention. A ceci près, que chacun et tous les éléments du repas
furent un peu ratés. Qui par la cuisson, qui la température, ou la
préparation, était-ce un cadre prémonitoire ?
Non. Ce n'était pas un cadre prémonitoire.
Pas plus qu'un autre, ce cadre n'avait d'intentions, sinon neutres.
Il venait, comme tous ses pareils, avec vocation agréable, courtoise
discrétion.
Enfin... Presque agréable. Presque courtoise.
Inutile d'ailleurs de se perdre dans le cadre car, avant même
d'avoir lancé les plats, nous étions l'un sur l'autre. Qui bascula
d'abord, le cadre, l'homme, la femme ?
Avant de toucher le sol mes doigts déjà fouillaient son sexe, ses
deux mains étaient dans mon pantalon. Improbable imbrication des
bras. Comme j'enlevais son jean, elle déboutonna ma chemise. Bouche
contre bouche, en une étanchéité sans appel. Puis tout dans
l'ordre. Les chaussettes en dernier. Son soutien gorge, d'une main
preste. Je mordillais ses seins, alors qu'elle penchait sans détour
vers ma verge déjà bien empoignée.
Nous voilà nus. Les gens font ça.
Bientôt c'était là, puis ce fut ailleurs...
Guidée l'intromission, j'avançais contre les flots de cyprine, nous
enfonçant jusqu'à la garde dans le délice soyeux. La salle de
bain, le canapé, au lit, partout nous fuckame avec science,
soin et passion. Sa main accompagnant mes couilles comme un nid
tiède, de son sexe j'écartais les lèvres et envoyait dix doigts
explorer tout autour, à la recherche de ce cher inconnu.
Trépignation de machines humaines, de la bête à deux dos,
applaudissements nourris de voisins excités, le lit tourne au milieu
de la chambre, me demandez pas comment, ça je ne l'ai jamais
compris.
Partout baisâmes. Bientôt mangeâmes.
Puis remîmes sur la table l'ouvrage.
Ensuite c'était moi, non, elle, qui par dessus, sens dessous. Un
instantané cérébral rapporté par le nerf optique témoigne d'un
haut fait d'escalade. Par la voie la plus abrupte, mes mains sur ses
fesses contribuant au centrage, ma bite était bien là mais rendue
invisible, tout au fond cachée.
Chacun rapportera vraisemblablement une version distincte, ne
serait-ce que par le point de vue, souvent contre-plongé pour l'un
quand l'autre savoure le vertige. Plus rarement égal, horizontal.
L'usage du miroir à côté du lit permettant à l'occasion
d'accorder les versions et joindre les regards, car celui-là n'en
perd jamais une miette. Mais version pour version, sans débat, sans
polémique, il semble qu'on s'entendait à penser la même chose.
C'était bon, bon.
Alors dans l'action délicieuse nous consommions l'erreur: c'était
la nuit des deux nigauds...
Flash forward. Revoilà le dimanche 'D plus 7'.
L'instant présent... Vous y êtes ?
A ce moment où ses yeux tournent encore, fous dans les orbites ;
alors ma phrase continue, fillasse, et meurt. Je comprends qu'on a
pas seulement lu des histoires dissonantes. Nous nous sommes bien
égarés. Bien bien égarés. Bien mieux, bien pire !
Elle est là, nous sommes dans l'entrée. Je la tiens au bras. Non,
déjà un peu de temps a passé, alors nous sommes au salon, deux
verres, quatre yeux, beaucoup à dire. Beaucoup à démêler. D'où
vient le désarroi ? Le désarroi est partout, toujours, à tout
instant. Il fixe sur nos âmes par les aspérités de la colonne,
prend sur nous et va ascendant toujours, doué de martingale.
Voilà, ce 'D plus 7', un homme, une femme, un désarroi et deux
verres de martini rosso.
Je dis : tu voulais bien qu'on couche ensemble, pour voir, pour
confronter à tes idées le réel ?
Elle dit : mais lundi, tu m'as bien dit que, de monogamer, tu
acceptes ?
Je lui dis : non, tu rigoles ? J'ai dit oui, mais non. Oui
ce jour, pour la requête antérieure, pas agréé à ton système,
un jour suivant, non !
Comme deux nigauds se découvrent, comme la scène alors est belle vu
du parterre, et comme il était mauvais ce rôle de traître. Violeur
de l'idée. Corrupteur de la pensée. Même le poulet alors avait un
goût de, je ne sais pas. Quelque chose de lourd et amer, qui serait
pas mal passé avec un vin capiteux du sud ouest. Le plat est
pesant. L'air, lourd également...
A-t-elle vraiment pensé que je renierais mes cent milles désirs,
l'urgence permanente des ailleurs, la tension des autres femmes, des
autres sexes ?
Ai-je pu croire qu'elle reniait tout pour rien, pour voir, pour la
blague ?
Et le poulet, que pensait le poulet en venant là, en se rendant
complice du tout. N'est-il pas un peu la cause, à sa manière, avec
sa ficelle idiote sur ses cuisses sans pattes et son corps sans
tête ?
Poulet, ordure !!!
Idées, couillonnes !!!
Nigauds, nigauds !!!
Idiot, idiote !!!
Ça pour l'action, la baise, ça a été tout de suite : oui !
Mais l'enfant en gestation de vos idées, l'idée de vos actes ?
Car le héros de cette histoire c'est bien ce choix non assumé,
partout en filigrane. Ce nœud que vous ferez, monsieur, à votre
verge, cette soudure qui vous condamnera, madame, à la pensée
éternellement vierge.
Alors nos nigauds mangeront le poulet, en se souriant l'un l'autre,
benoîtement. Tu me passes le sel ?
Il n'y aura plus d'idée préalable, que l'idée du présent, bien
noyée dans le réel ; plus d'idée postérieure, que celle du
menu au prochain repas.
Dans ce monde advenu, l'action est tout. Le marin trempé, mais bien
réveillé, descend au carré se préparer un viandox brûlant. Et le
poulet, et le bateau ? Continuent de refroidir dans l'assiette.
Filent et disparaissent à l'horizon...