- aux frontières du Sabbat

La nuit des deux nigauds

L'action n'est rien.
L'action n'est que la suite du cheminement de la pensée.
A la fois conséquence, et sanction de l'idée.

Le geste qui nous condamne n'y peut mais – il n'est que suite irrémédiable de la pensée. La pensée qui par oh et par ah, un jour nous a trahi. Un jour, un trois fois rien, un peut-être, devient la main qui touche, la main qui prend, le geste qu'on sanctionnera.

L'esprit prévoyant, par l'histoire échaudé, met en place des trésors de rêve et d'imagination pour s'entraîner au cheminement des actes, travailler les scénarios du réel. Mais à la fin, toujours la fin !, un réveil sonne, et voilà qu'il faut reprendre le réel, bras le corps et pleine gueule, comme fait la mer sur le marin un instant distrait.

Quand je l'exprime ici, l'action a déjà eu lieu.
C'est ici le temps du cheminement d'aval, la suite des pensées... L'action a eu lieu un mercredi soir de septembre, nuit tiède et riche, tant pour les voisins qui invariablement matèrent, que pour nos deux lurons, qu'étaient pas en reste d'agir et voir, et boire et jouir.


Vient maintenant le temps de l'expression.
Dans ce présent relatif, un dimanche en l'occurrence, je viens à la porte de la nigaude.
Ah ! la porte...
Ah !, la nigaude...
Dans mes bras, un poulet sacrifié du midi, jaune du Périgord, croustillant de la cuisson et parfumé de tous délices. Comme le voisin m'a facilité l'accès, j'apparais par surprise, et ce n'est que la première.
Puis comme elle présente et tend sa bouche pour une étreinte entre amants, je m'écarte un petit peu ; établis la tension, l'état de guerre latente. Embrassez-vous, quand même, acteurs de fable ! Ils s'embrassent, quand même. Mais la guerre sourdre et sourdra désormais, ya pas de raison.

Sourire, ah, oh.
Bonsoir, hihi.
Les amants sont complices, avant d'être ennemis. Ils s'aiment d'amanterie, avant de se haïr comme pairs de l'humanité divagante ! Souhaitant sortir de ces phrases monocordes, je tente établir le contexte d'un dialogue.
- Fait frais, hein ? Faisait plus chaud ce matin.
Et tout à trac :
- J'imagine qu'étant enfin réunis, nous voilà prêts pour une bonne discussion, oui ?
Ses yeux, déjà révulsés par le refus de baiser originel, partent comme des rouleaux de machine à sous, tournant encore et encore dans leurs orbites. Comme les signes du gain potentiel se succèdent dans chaque fenêtre oculaire - effroi, stupeur, abandon, désolation, ataraxie - j'hésite à lui tordre l'oreille gauche pour arrêter le mouvement et encaisser mon dû.
- Quelle discussion, de quoi discussion, pourquoi discussion ? Essaye-t-elle
Une phrase me vient alors, autrement plus chaotique et maladroite que ce que prétend la transcription qui suit. Pas très adroite pour autant, c'est cependant elle qui suit dans ce texte, dans cette vérité écrite qui vaut doublement, par sa nature écrite d'une part, par l’épellation du mot « vérité » qui d'autre part et de toute part s'échappe alors que les signes remplissent la page.
- Eh bien, j'imagine qu'on pourrait parler de nos actes. Actes délicieux de mercredi dernier. Parler d'eux en rapport avec ta proposition de nous unir pour voir, de nous lier un instant pour savoir, sinon ce qui nous unit de fait, du moins ce que notre union peut être et devenir réellement
Tournent les yeux, encore, encore, et stupeur, toujours 
- Comment que, pourquoi, est-ce que, tu veux dire ?
J'y reviens. Pour vous. Pour elle. Pour nous tous.
Reprends l'énoncé de ma vérité, celle vécue avant qu'écrite. Mon souvenir du samedi précédent. Car avant d'être ce dimanche là, qu'on appellera D+7 par commodité, par faiblesse, par penchant symboliste, c'était un beau samedi 's moins un' (S-1), huit jours plus tôt...
Ce samedi là, elle m'a dit, et c'est forcément vrai puisque c'est écrit, et plus vrai encore par ce que confère l'accent sincère et le soin porté à la formulation (formulation qu'on aura relevé en pensant, ah, mais il joue du verbe comme un vrai petit gars ce saligaud, c'est l'épate), elle m'a déclaré, ce S-1, qu'elle consentait à l'amour physique entre nous.
« J'ai envie d'amour physique entre nous » n'est pas la formule qu'elle employa alors, certes non, ni un « je veux » direct et cristallin, mais une formule assez belle et joliment directe, qu'on me pardonnera de ne savoir transcrire ni sublimer, notant au passage que l'expression de mon propos ne souffre par semblable distorsion, ou tout le moins qu'il y a inégalité face à la transcription.
Ainsi elle voulait, car enfin nous voulions, et chaque fois un peu plus, en dépit de la ligne rouge qu'on avait pris soin de tracer, rare précaution, juste au dessus du pubis. Car le désir n'est pas en cela semblable à la lumière du jour. Il se cumule et, day in day off, sa quantification si elle était possible irait asymptotique ascendante, et sa convertibilité au dollar US ferait de nous des hommes riches - ou un homme et une femme riches, dans le cas du statut toujours plus commun ces jours-ci de la stricte séparation des biens.

Concernant les meubles meublants acquis à compter de ce jour, les meubles acquis par les partenaires ensemble ou séparément seront soumis aux règles de l’indivision dans les proportions suivantes : pour elle à proportion du pourcentage payé sur les meubles ou à défaut de la moitié ; pour lui à proportion du pourcentage payé sur les meubles ou à défaut de la moitié.

Alors dans mon entendement, je recevais ce 'S moins un' là son aveu que le désir est plus fort, plus fort le désir que l'ensemble des principes qui devait la préserver de moi, patachon assumé, exalté et revendiqué. T'es sûre oui, j'ai dit ? Oui. C'était oui.
Ce samedi là, malgré ses principes de monogamie et histoires de long terme, absolue fidélité et bijection totale des êtres -toutes notions qu'elle porte bien haut et devant comme presque lisible dans son regard, sur son visage-, ce samedi là, plus de malgré, plus de principe. Nos titillements et autres incursions de proximité, la langue, l’œil, la main, le genou, tous coupables !, tous acquités !, avaient eu raison de toute prudence, de tout principe.


Le dimanche nous nous revîmes.
C'était dimanche 'D zéro' de son vrai nom, le dimanche charnière, origine de notre référentiel narratif. Alors je lui dis « oui », pas uniquement parce qu'un 'non' semblait malvenu à l'origine du repère, mais « oui », carrément, étant partant pour la botte et vaille que vaille, advienne que pourra. Parce que je crois au principe de réalité, aussi, qui gouverne tout, que l'idée n'est rien qu'un sot qui tourne autour d'un puits du monde advenu, sec et stérile à jamais.

Le lundi suivant, 'L plus un', nous nous croisons à nouveau.
Décidément, ces deux là sont à la colle, finira par penser le lecteur attentif. Pas un jour sans que. Mais tout est question de volume, car je tairais l'horaire de la rencontre et le planning des heures, plus nombreuses chaque jour, qui précèdent et succèdent à l'instant présent.
Me voyant la voir, la voyant me voir, on se vit, on se parla. Elle me dit, comme pour rappel, comme par remords, que dans sa conception à elle, l'homme la femme c'est un et un, deux parfois, mais jamais plus. Rappel à sa règle, exception dans l'espace que nous avons convenu d'ouvrir d'un tango ivre le jour 'S moins un'.
C'est ce que je comprenais alors.
C'est notre erreur à tous, de penser comprendre alors ! Comprendre alors que la compréhension de la pensée reste une éternelle utopie. Car de fait la pensée passe comme le cours du temps, ne laissant ça et là que quelques grains de sablonneux qu'on prend, qu'on analyse, pour mémoire, pour compréhension. Vanité ultime ! Des grains ! Ce ne sont que des grains !

Voilà pour les idées. Au plus pressés d'entre les lecteurs elles auront déjà brisé les pattes, fermé les yeux. S'ils me connaissent ils penseront diable, ce qu'il cause ! Jamais n'agit ! Cependant l'idée, à petites touches et grosses bévues, l'air de pas y toucher : avait déjà édifié l'action.

Puis enfin, ce fut mercredi.
Mercredi. Ce 'M plus trois' que certains lecteurs de nouvelles coquines aiment voir décrit avec force détails, et bruits, et couleurs.
L'un appelant l'autre, ces lecteurs n'auront le plus souvent lu que quelques nouvelles de cette acabit avant de verser dans le visionnage de films à caractère pornographique. Puis, suivant cette logique irréversible du mieux disant, la somme de leur fantasmes et frustrations sexuels ira croissante, malgré quelques dents de scie.
Fantasme et frustration, je précise, qu'il convient de mettre en regard de coïts sinon rares, au moins décevants, dans l'ensemble. Et, ne négligeant toujours aucun détail, scie de qualité variable, selon qu'on aura visé à l'achat un objet pérenne et fonctionnel, ou choisit avec empressement vil prix et dent grossière dans quelque mauvais gourbi.
Précisions utiles, car dans la réalité qui nous a été refourgué, qu'on assumera faute de mieux, la femme ni l'homme ne sont comme à l'écran ou sur les images glacées des magazines. Les oh, les ah, viennent moins scandés. On crie moins, on crie peu. Et ce déguisement d'écolière tombe vilain, ce petit bouton vient mal au regard, la lumière n'accroche pas pareil, vous trouvez pas ? Même que à la fin le monsieur à la télé secouait sa verge, envoyant partout de longs jets de sperme en grognant, et ça, rien que de penser au ménage, j'ai jamais osé.

La pornographie, répétons-le, dévoie gravement la sexualité des jeunes qui s'imaginent en visionnant des films que ces pratiques et ces postures constituent les figures imposées de l'étreinte amoureuse, tout comme d'ailleurs le roman dévoie gravement leur vie sentimentale en leur faisant accroire que le romantisme est le secret de la relation amoureuse alors que celle-ci commence en réalité comme nous le savons tous par une bonne fellation et se termine par une sodomie brutale suivie d'une éjaculation faciale.

Pour donner un cadre à ce 'M plus 3' j'avais préparé un petit frichti. Lancé des œufs dans la crème fleurette, salé, poivré, muscadé. Enfourné et laissé prendre. Préparé une crème fouettée à la vanille afin de jeter un voile pudique sur les babas au rhum qui attendaient pas loin. Collé une salade sur le bord de l'assiette, vite fait, bien fait, meilleur effet.
Le vin, aussi, et la bonne tiédeur de l'air, tout était de bonne intention. A ceci près, que chacun et tous les éléments du repas furent un peu ratés. Qui par la cuisson, qui la température, ou la préparation, était-ce un cadre prémonitoire ?
Non. Ce n'était pas un cadre prémonitoire.
Pas plus qu'un autre, ce cadre n'avait d'intentions, sinon neutres. Il venait, comme tous ses pareils, avec vocation agréable, courtoise discrétion.
Enfin... Presque agréable. Presque courtoise.

Inutile d'ailleurs de se perdre dans le cadre car, avant même d'avoir lancé les plats, nous étions l'un sur l'autre. Qui bascula d'abord, le cadre, l'homme, la femme ?
Avant de toucher le sol mes doigts déjà fouillaient son sexe, ses deux mains étaient dans mon pantalon. Improbable imbrication des bras. Comme j'enlevais son jean, elle déboutonna ma chemise. Bouche contre bouche, en une étanchéité sans appel. Puis tout dans l'ordre. Les chaussettes en dernier. Son soutien gorge, d'une main preste. Je mordillais ses seins, alors qu'elle penchait sans détour vers ma verge déjà bien empoignée.
Nous voilà nus. Les gens font ça.
Bientôt c'était là, puis ce fut ailleurs...
Guidée l'intromission, j'avançais contre les flots de cyprine, nous enfonçant jusqu'à la garde dans le délice soyeux. La salle de bain, le canapé, au lit, partout nous fuckame avec science, soin et passion. Sa main accompagnant mes couilles comme un nid tiède, de son sexe j'écartais les lèvres et envoyait dix doigts explorer tout autour, à la recherche de ce cher inconnu.
Trépignation de machines humaines, de la bête à deux dos, applaudissements nourris de voisins excités, le lit tourne au milieu de la chambre, me demandez pas comment, ça je ne l'ai jamais compris.

Partout baisâmes. Bientôt mangeâmes.
Puis remîmes sur la table l'ouvrage.
Ensuite c'était moi, non, elle, qui par dessus, sens dessous. Un instantané cérébral rapporté par le nerf optique témoigne d'un haut fait d'escalade. Par la voie la plus abrupte, mes mains sur ses fesses contribuant au centrage, ma bite était bien là mais rendue invisible, tout au fond cachée.
Chacun rapportera vraisemblablement une version distincte, ne serait-ce que par le point de vue, souvent contre-plongé pour l'un quand l'autre savoure le vertige. Plus rarement égal, horizontal. L'usage du miroir à côté du lit permettant à l'occasion d'accorder les versions et joindre les regards, car celui-là n'en perd jamais une miette. Mais version pour version, sans débat, sans polémique, il semble qu'on s'entendait à penser la même chose. C'était bon, bon.
Alors dans l'action délicieuse nous consommions l'erreur: c'était la nuit des deux nigauds...


Flash forward. Revoilà le dimanche 'D plus 7'.
L'instant présent... Vous y êtes ?
A ce moment où ses yeux tournent encore, fous dans les orbites ; alors ma phrase continue, fillasse, et meurt. Je comprends qu'on a pas seulement lu des histoires dissonantes. Nous nous sommes bien égarés. Bien bien égarés. Bien mieux, bien pire !
Elle est là, nous sommes dans l'entrée. Je la tiens au bras. Non, déjà un peu de temps a passé, alors nous sommes au salon, deux verres, quatre yeux, beaucoup à dire. Beaucoup à démêler. D'où vient le désarroi ? Le désarroi est partout, toujours, à tout instant. Il fixe sur nos âmes par les aspérités de la colonne, prend sur nous et va ascendant toujours, doué de martingale.
Voilà, ce 'D plus 7', un homme, une femme, un désarroi et deux verres de martini rosso.

Je dis : tu voulais bien qu'on couche ensemble, pour voir, pour confronter à tes idées le réel ?

Elle dit : mais lundi, tu m'as bien dit que, de monogamer, tu acceptes ?

Je lui dis : non, tu rigoles ? J'ai dit oui, mais non. Oui ce jour, pour la requête antérieure, pas agréé à ton système, un jour suivant, non !

Comme deux nigauds se découvrent, comme la scène alors est belle vu du parterre, et comme il était mauvais ce rôle de traître. Violeur de l'idée. Corrupteur de la pensée. Même le poulet alors avait un goût de, je ne sais pas. Quelque chose de lourd et amer, qui serait pas mal passé avec un vin capiteux du sud ouest. Le plat est pesant. L'air, lourd également...

A-t-elle vraiment pensé que je renierais mes cent milles désirs, l'urgence permanente des ailleurs, la tension des autres femmes, des autres sexes ?
Ai-je pu croire qu'elle reniait tout pour rien, pour voir, pour la blague ?
Et le poulet, que pensait le poulet en venant là, en se rendant complice du tout. N'est-il pas un peu la cause, à sa manière, avec sa ficelle idiote sur ses cuisses sans pattes et son corps sans tête ?

Poulet, ordure !!!
Idées, couillonnes !!!
Nigauds, nigauds !!!
Idiot, idiote !!!

Ça pour l'action, la baise, ça a été tout de suite : oui !
Mais l'enfant en gestation de vos idées, l'idée de vos actes ? Car le héros de cette histoire c'est bien ce choix non assumé, partout en filigrane. Ce nœud que vous ferez, monsieur, à votre verge, cette soudure qui vous condamnera, madame, à la pensée éternellement vierge.
Alors nos nigauds mangeront le poulet, en se souriant l'un l'autre, benoîtement. Tu me passes le sel ?
Il n'y aura plus d'idée préalable, que l'idée du présent, bien noyée dans le réel ; plus d'idée postérieure, que celle du menu au prochain repas.


Dans ce monde advenu, l'action est tout. Le marin trempé, mais bien réveillé, descend au carré se préparer un viandox brûlant. Et le poulet, et le bateau ? Continuent de refroidir dans l'assiette. Filent et disparaissent à l'horizon...  

Allons

allons allons
partons, disparaissons
filons sans retour
prends tes affaires, vide ta valise, jette le tout
fais un tas de ça, puis de tout le reste, vlan
un tas pour se coucher dessus, et baiser!, baisons!, enfilons enfin des perles, des rêves, des cris à outrance, des trucs qu’on ose pas dire, par là où il faut pas, en riant bons derniers, comme des chiars d’une bonne blague
le monde est là, tout entier, nôtre
mais... ah. tu viens pas ?
le monde et moi, tout entier, seul
dans les draps frais de ce lit d’hôtel
froissi de rêves en débandade
je me concentre sur mon fantasme
tente la fuite du plaisir solitaire
mais la fenêtre claque
alors je m’endors, perdu tout entier.

Gisèle, poitrine éternelle

Gisèle, septante années vaillantes, se demanda diable ce qu’elle faisait là. 
«Que fais-je fais dans cette gare centrale ?», se dit-elle. 
Premier individu à occuper les lieux, quand bien même malgré soi, après l’omnipotent prénom personnel, elle chercha un moment parmi les mots-clefs l’un ou l’autre qui fasse écho, explique ou justifie sa présence. Cria «Eho !» cinq fois, provoquant quinze échos qui sonnèrent en canon dans la cathédrale virtuelle. Chaque écho d’origine revenant atténué de 2 dB, du fait des paramètres du blog laissé par défaut. 

L’auteur pensa qu’il se voilait tout puissant - «me voilà tout puissant» disait la pensée avant transposition aléatoire, et elle recomptait pour elle-même :
   petit a/ l’univers de ma perception
   petit b/ un être de chair et sang
donc deux. Pas mal ! 

Après l’amortissement asymptotique des échos régnait encore la question de Gisèle, magnifiée par le silence. Ainsi que Gisèle, bien sûr -qui d’autre?- bien qu’elle-même ne régna dans cet espace que sur l’espace propre de sa personne. Et ce règne est parfois fragile, équilibre précaire d’angoisse et de doute que chacun dose à sa manière. Fifty/fifty font certains, quand d’autres varient les mélanges, tentent une sinusoïde, vont par les extrêmes... 

L’auteur murmura alors en voix off, «je l’ai choisie pour sa poitrine», mais on entendit rien, car il s’agissait d’un off objectif, coupé au montage. Et de fait, les deux mamelles de Giselle régnaient en maîtres sur l’espace et la gravité, indiscutablement, malgré leur âge et la faible lumière tombant des voûtes. 
Ces alpha et oméga que tout l’univers avait palpé, caressé, et ceux qui n’avaient pu ni palper ni caresser, car ils n’étaient pas nés, car ils étaient retenus au travail, ou en voyage, ou pour raison médicale, ou déjà morts!, ceux-là avaient le regard figé. Et on voyait dans leurs orbites écarquillés le reflet des deux loches, soit quatre seins par paire d’yeux qui à l’inverse de l’écho amplifiaient leur magnificence. 

A ces deux univers là, ces hordes de mains palpeuses et monceaux d’yeux rougis par l’effort, «bonjour», dit l’auteur, ce coup-ci à voix haute. Mais dans cette foule autrement plus dense que la Saint-Lazare du lundi matin 8h30 un jour de rentrée, Gisèle ne sut dire si elle avait distingué un mot la concernant. 
Car alors cette gare, peuplée d’imaginaire, d’une foule de reflet de seins, de mains tendues en veux-tu en voilà, et d’une femme nue à la splendide poitrine, cette gare était devenue un impossible capharnaüm bruissant de mille rumeurs.
Aux seins de Gisèle. 
Au peuple de la terre. 
La gare, enfin bondée, reconnaissante. 


Au recensement de l’année suivante un panneau fut inauguré à grand frais.
La cohorte ayant disparu en marmonnant dès le premier soir j’ai piscine, je reviens dans cinq minutes, après que Gisèle avait enfilé un soutient-gorge en laine jaune (soirée bien fraîche de mémoire de blog), il indique : «Gare Centrale, 1 hab.». 
Gisèle tourne autour, depuis longtemps maintenant, que faire d'autre?, un an déjà ! Elle piétine un peu à la longue. 

La passion de son pas, ou ce qu’il en reste, ou peut-être la pression sous ses semelles, qu’on pourra sans nul doute mettre en rapport avec le poids d’une de ses loloches multiplié par deux et quelques et divisé par la surface d'un pied, ou encore sera-ce la piètre qualité du revêtement de sol, ou disons finalement quelque habile combinaison de tout ça et quelques autres choses : tout ça et quelques ont creusé un sillon d’une circularité remarquable. On voudrait croire au chemin d’un âne de bât, cependant la comparaison est datée avant d’être fort irrévérencieuse, surtout rapport à une dame, de surcroît la seule en présence. D’ailleurs, quel âge avez-vous pour savoir des fontaines à traction animale ? Et qui êtes-vous, d’abord ? Non mais bordel, c’est une gare privée ici, alors cassez-vous avec vos croirances à la con, remballez-moi ces commentaires à venir, du balais. 
Mais bref, imaginez un tronc-sillon-torique régulier : en termes formels, c’est plutôt de cela qu'il s'agit. Si vous étiez quelque curieux technophile on aurait évoqué un chemin de roulement avec des sanglots dans la voix, avant d’aborder les mérites comparés des calendriers Pirelli et Michelin. Rapidement tombés d’accord sur le cumul des arguments morphologiques de l’un nous nous serions juré amitié éternelle, scellant cette connivence bien méritée comme il se doigt, d’un high five ou quelque autre gestuelle absurde, exubérante ou ridicule propre aux gens cool que si vous ne connaissez vraiment pas, on se demande. Mais bon. 
Enlève ton soutif, Gisèle. C’est une gare irrespectable. 
On voulait des seins. En voilà deux.
Merci.

Je veux plus


Comme dans un lit chaud et humide
tu mets tes doigts secs et froids sous les couvertures.
Elles sentent le vin cuit par ta bouche sèche.
Le vin, dans la cuisine, que nous n’avons pas fini. Et tu t’en vas déjà.
Comme quand tu parlais de celui qui avait eut un accident de voiture. Il n’est pas mort. Ou si peut-être. Déjà mort. Je voulais le revoir, et c’était trop tard. Trop tard pour le suivre. Trop tard pour lui dire qu’il a raté sa vie. 
Et tu allumes cette fille. joie. un coup de téléphone retentit dans ma tête. et ça lui jette une bouffé d’air frais. l’eau. le bain. la piscine. 
Plus tard j’écrirai sur ta peau. 
Dans la nuit. J’ai trop dormi dans les boites de nuit. Tu donnes ta clef. Voisine. Et ton café. Et les gens. Pierre. Pierre. Tu t’en vas. Tu t’en vas. Pierre. 
Partir dans la mer mère. amer. amertume. amarrer. marécages. lenteur. la lenteur du vide. Sans toi. Dans la rue. Vite. Se retourner. Partir. Savourer; Boire du vin. Sans toi. 
Se réveiller dans tes bras. froids. secs et froids. écouter son cœur. sans cœur. pas. pas avant. en traversée. la vie. sans. sens. la pluie. Paris. gris. froid. vent. vin. sans. rien. inondation. 
Suffoquer. Aérer l’appartement. 
Comme dans un rêve. les yeux fermés. les paupières se perdent dans un champs d’amour. jamais apprécié par celui qui le reçoit. et pourquoi. ça ne sert à rien. 
Foutre. fondre. foutra. faudra. lui dire. rien. Tout est dit. 
Et je te regarde. 
Et je regarde cette rue. 
Et les gens. où vont-ils ? ces gens ? et nous ? et toi ? et moi ? 
Partir en voyage dans ta baignoire. poison. partir. le rejoindre. et puis. plus rien. 
Rien. Rien. 


Il n’y a plus de bon-jour pour toi,
qu’une succession de présents,
une addition de distances par appuis répétés sur la touche plus, plus, je veux plus.
Mais il n’y a plus plus rien que la vacance. Le pubis rose et lisse, comme rebouché d’un ange. Reste cependant : quelque chose. Une tension. Le sexe sublimé, obsession érotique, j’imagine enfoncer une collection d’objets dans ton plus intime. Insérer sans cesse. 
Ton sexe, enfin rendu solaire, seul interlocuteur de ces pensées récursives. Ton sexe parle, mes pensées grondent, dialogue en crescendo assourdissant, sans limite que le cri final, ou la rupture tout court, blocage complet de l’obsession....

L'usage qu'on peut du monde

Le monde à l’usage, pfff !
Je dis pas, hein, que... Non ! La vie est gouzy gouzy, super glop. Et quand le carbu fait mine de... un coup de tanne, un putain de coup à déchausser les dents, vlan ! et le moteur repart. Ça marche tout seul. Gouzy, on vous dit.
A l’usage quelques litres d’alcool, c’est le conseil du toubib. Il m’a dit, tel quel : bois! bois! boit! buvez! buvons! boivent! avant de s’enfermer dans son office avec sa réserve, plus mon flasque à whisky. Mon flasque ! 
Celui-là même, payé avec les sous du contribuant, la sueur boisée de mes aisselles, la maille de mes ancêtres. Putain de toubib. Obligé de trinquer à mes frais, et cependant, je maintiens : la vie est gouzy. 

A l’usure, le monde, cependant... 
Simple question de tribologie : la vie en se frottant au monde subit une force tangentielle opposée à son mouvement. Aussi à l’usage, le monde produit-il chaleur et lumière, au gré de variations de niveaux d’énergie électronique des atomes de surface. Inutile d’être normal pour en débiter de telles, c’est dans les livres, avec des images, sans jamais un mensonge. 
Mais ce n’est pas tout. A force de tribologer gaiement tout ce beau monde : il s’use. Et l’usager ? Pire encore ! Y laisse son épiderme, son derme, bientôt ce n’est plus que chair et os à nu traversant l’Asie Centrale dans une Topolino poussive ! Ah, notre fier explorateur ! Fier et nu, rouge sanglant, regardez-le !

Voilà comment, voilà pourquoi, sont venues les idées. 
Celle du Trinitron 21‘‘, d’abord. Chers ingénieurs, bien intentionnés, visant l’arrêt de l’homme pour en réduire l’usure. Celle des gants-genouillères en Kevlar (r), dans cet ordre ou un autre, quelle importance ? L’homme, trop content d’ajouter une couche à sa panoplie, ajoute, ajoute. Il peut enfin frotter sans usure... 
Ajoutez l’alcool, lubrifiant universel. 
Et la cyprine, lubrifiant naturel. 
Tout est bon pour réduire notre coefficient de frottement, augmenter l’ennui, allonger la vie. Dans ces restes d’existence, tout est rapport. Tout est sexuel. Abstinence ou rapport monnayé, usage du monde, usure du nombre, chers usagers, chères usagères du monde. Zagères du monde. Chers du monde. Merci. 
Et les réseaux. Et les décors. Merci aussi. 
Vous pouvez vous lever et partir.
Prenez garde à ne pas rêver trop fort.

L'amitié a bon dos

Voilà un pivot.
La fin d’année approche.

Le dernier voyage rangé dans l’onglet décembre, il n’y a plus qu’à attendre la chute.
Nous voilà dans une chambre anonyme, drôle d'endroit. Au bord du coït. L’étreinte est là, toute proche, dans les corps, dans les regards...
Debout face au vent, arc-bouté à l’entrée de ce sexe offert, je fait des nan, nan, naaan, et tente un 'vive l’amitié', priant pour échapper au désastre. Elle a une composition du visage qui répond, très bien, sans marquer de rancoeur excessive, un truc limite louche, mais un peu rassurant.
Seulement, ses yeux. Ses yeux continuent de briller. Irradient de promesse...

Je passe rapidement en revue les différents positions, cherchant celle que le manque de désir n’oblitérerait pas. Lui proposer une verge amicale, sans troussage ? Boire beaucoup, laisser venir ? Baiser n’est tout de même pas aussi dur qu’écrire !

Doucement excité par les premières idées, je pense au corps que ces vilaines étoffes de service pourraient dévoiler, et flippe un peu. Les stigmates d’une mort passée tout prêt, qui reviendra. L’embarras anticipé. On avait trinqué au désir, ouais. J’imagine.
Le désir. Désir de fuir, désir de défaire l’écheveau absurde qui m’a amené là.

Etrangement, je pense à Olivier dans cet échange. Je pense à tous les hommes, à toutes les verges tendues dans tous ces cons aimables, et regarde mon amie. Ma pauvre amie.
Bien, mais que faire ?
Ces vêtements, cet abandon, tout concourt à décrédibiliser notre petit intercourse. Le coup était foutu d'entrée. N’importe quel connard à peine pubère aurait pu le constater, et bien inspiré m’aurait poussé sur le côté pour ouvrir clairvoie et...
«Qu’est-ce que je fais de toi, un amant, un ami ?»
Vent debout...

Contre le désir. Contre l’idée reçue. Contre la situation.
J’ai écrasé mon sourire le plus gêné et imploré, 'non'..., merci, vraiment.

Egoïst Palace

Bienvenue à Chernivtsi, adorable bourgade du sud-ouest Ukrainien. Nous voilà accoudés à un comptoir du disco, car il faut bien se mettre le coude quelque part, pauvre apppendice un peu moche, pas bien utile. Le coude. Meilleur ami de l'alcoolique.
Boum boum boum, flash et lumières variées : ici il y en a dans tous les sens, pour tous les sens.

Ce disco est un complexe infernal. Ancienne usine réaffectée au procédé de transformation de bière et vodka en mictions variées, on y décline tous les superlatifs du socialisme flamboyant. Ça pisse à tout va, ne manque que la statue du pisseur, j'imagine un immense Maneken-Piss de bronze, tout en muscles, faucille dans une main, lourde verge dans l'autre, une belle mare à ses pieds...
Alors on boit. Puis on pisse. Assis, debouts, accroupis, mains lavées, sales, prépuces décalottés -le tout dans une ambiance assourdissante-, rien que la variété des possibles m'enivre presque. Et je pense à ces ruisseaux d'urine odorante qui se déversent dans les canalisations...

Ce disco, c'est l'Egoist Palace. 6 billards, 2 pistes de bowling, karaoke, dancing, lounge bar et combien, combien de cheveux sur ces têtes, de litres de sueur sur ces grands corps étranges et nus...
Chacun seul au bar, abandonné à ses divagations, laisse glisser ses yeux sur la salle.

Mister B. commande la deuxième bouteille de vodka.
Après, je ne sais plus...
Au réveil : la patex, toutes les fringues, le canapé inconnu et une migraine d'enfer, c'est le TIU hostel, où on croise misteur A., juif antisémite et grand amateur de Céline. 
A ce moment c'est déjà la deuxième frontière du sabbat, l'ambition n'en est que mal définie et le titre encore perdu dans les limbes. 


Alors que cahin caha je gambergeais le comment raconter, sans tuer personne, sans rentrer à Paris, sans confier à la garce, tout ça tournait tournait, et le temps ne se prive pas, il passe et repasse nerveusement derrière moi en tapant fort ses pieds sur le sol.
Les échéances ne sont pas discrètes non plus.

Un jour, il faut écrire. Ne rien se ménager. Finir la vodka. Aller de l'avant.