- aux frontières du Sabbat

Révolution d'horloge n°59

Révolution complète et changement radical au bout de la ligne.
Ce train, comme la ligne 2, change d'espace, de gens, de modes.
La journée du dimanche comme prélude : éclats de voix dans le couloir, pénibles échanges en ukrainien, grand déballage de comestibles dans chaque compartiment, intermittences de la ligne qui très lentement alterne longs arrêts dans de petites gares et tronçons de campagne à marche lente. Après des agapes sans fin un sommeil lourd accable les voyageurs. En une interminable chorégraphie mécanique, on défait le convoi pour changer les boogies. Les wagons volents à trois mètre du sol. Cris, chocs, grésillement des radios, parades de sévères miliciens.

Cette première frontière nous coûte près de 3h et l'unique homme noir du convoi, débarqué très vite sans trop qu'on apprenne comment, pourquoi, pour où ?
Aleksandro et Dimitri sont si préoccupés par l'épreuve du visa qu'ils n'envisagent de manger qu'une fois traversée la double ligne de frontière. Peu dotés, ils mangent finalement maigre et bientôt font leur lit, et dorment.
Toute l'après-midi passe ainsi. Puis le soir. C'est seulement après 22h, passée Bucarest, qu'Aleksandro débouche la vodka achetée à bord. Rendu déjà bien ivre par un mélange de bière et cognac c'est à mon tour d'être couché, et je décline continuellement, toute la nuit durant, ses invitation successives à trinquer. Na zdarovié ! On approche de la Bulgarie. Na zdarovié ! Présentations aux autorités roumaines. Na zdarovié ! Encore une ou deux heures avant l'accueil bulgare.
Finissant la bouteille, il éteint finalement la lumière et s'allonge. L'aube poindre, le calme revient enfin dans la cabine.

Au réveil, le train est vide. Voyageurs évacués. Quelque part dans la nuit notre convoi a de nouveau été réorganisé. Ce wagon, qui était le premier derrière la locomotive, voit désormais les voies par son hublot arrière. On file à plus vive allure. La journée avance. Sofia n'arrive toujours pas. Trois passagers se partagent le wagon, le samovar et les 3 membres d'équipage.
Aleksandro m'explique bientôt l'alpha et l'oméga, que je feins de comprendre, répondant da, da, à toute injonction, notant prestement mes nouveaux contacts au sein de la mafia ukrainienne de NYC.

Fini. Le train est passé. Le train est encore là, dans les méninges, dans les pieds.
Traverses et rails se regardent un moment, soulagés. Encore un de fait se disent-ils.
Na zdarovié !

Eructation épistolaire

D'abord tu seras contente d'apprendre que j'ai cessé de jurer comme un patachon, à tout va. La fréquentation des mineurs, même néo-pubères, t'oblige à rien, mais tout de même. 
Lorsqu'il est entendu, l'impact du mot n'est jamais nul, il provoque une réaction en chaîne d'autant plus redoutable qu'elle est souterraine. Comme une étoile vibrante. Alors on retrouve des perturbations du champs magnétique, jusqu'au dedans de l'adulte, des siècles plus tard. 

Dans la pratique, en revanche, l'onanisme compulsif reste de vigueur. Différents diagnostics confirment qu'il s'agit d'un biais inaliénable. C'est ça, ou l'amputation, a lâché le toubib en s'arrosant de gel hydro-alcoolique après un rapide tâté. De fait, il y a encore deux minutes je me régalais du frottement de cette nouvelle étoffe sur mes gonades, au rythme de la marche. 
C'est une coupe droite, de la came turque qu'on touche au bazaar, côté Zoravar Andranik, en promo à 7000 balles. Le super 120's vient délicatement secouer mes bolloches. Je m'oublie au sursaut lascif de ma mémoire… 

A notre dernière rencontre tu portais une salopette. 
A moins que ça n'ait été une jupe. 
Une nippe quelconque, en fait, recouvrant mal cette fraîche nudité qui transpire, qu'on devine à chaque souffle. Obnubilé par l'absence d'étoffe, adoptant la fermeté implacable de cette vilaine logique, j'ai pensé alors te repousser dans le hall dont tu sortais. Puis t'épingler là, contre le mur, avec des convulsions d'épileptique. 
On a déambulé dans les rues Paris. J'avais des picotements dans les doigts.   

Hotel Los Angeles

Miraculé de la loi sur le ridicule qui ne tue plus, je balade mon espoir de toujours survivre dans des bouts du monde, accompagné en cela de mon pantalon beige déchiré qui ne tue plus, du sacado d'avant la guerre qui a cessé de décimer, des superbes 'david beckham' qui ne savent même plus ne serait-ce que faire mal au pied, si encore !, mais même pas, et le reste, chapeau de mauvaise paille que franchement, nan mais franchement, ce mec, il pourrait pourtant, mais non, de mauvaise paille, le mauvais chapeau, blonde et poilue qui tue, tout qui tue, la mémoire qui tue, le souvenir de ta voix dans le terminal qui tue, douce ta voix, on pense toujours que qui tue est pointu, mais sans raison en fait, suffit de penser au rayon laser, doux et vert, qui tranche les membres des spationautes prisonniers de la première prise d'otage martienne, ou, pour prendre un exemple plus contemporain, de cette jolie boule d'acier que les hommes mettent dans un tube noir et boum !, sincèrement, plus rond, plus doux, plus lourd, ya pas.
Le miraculé donc, sur son séant posé, pense à toi. Sur son séant bientôt volera, l'agent du comptoir ayant daigné faire un petit miracle de Noël, il m'a dit d'oublier Cuzco, mec, même en rêve, et si cet aéroplane est bourré, le prochain, c'est encore pire, aun peor, mais que Arequipa, ouaich, éventuellement, et me voilà, et voilà la pensée de toi, bien décorrélée de toute notion d'avionique ou de kérosène, on dit qu'on pense et la pensée tout de suite se retourne et regarde le contexte avec circonspection genre, ah ouais, donc tu pense à moi quand tu portes ton déguisement qui tue ? Et ta veste marron du mont Fuji qu'on osait plus donner aux œuvres sociales ?
Pensée je lui dis, pensée tu es pure, tu es jolie, ta bouche est douce et le souvenir de ton contact suffirait à déchirer un peu plus quelque trouser innocent, alors réjouissons-nous déjà. Que j'aille sans barbe blanche ni cadeau, que je m'échappe de Lima, ville prégnante qui bientôt m'aurait étouffé, réjouissons-nous. De la vie réjouissons-nous. Du désir en sommeil qui continue son travail de galerie mentale, réjouissons-nous. Des idées en boucle du passé du futur, et là j'ai presque envie de pousser un alléluia !!!, mais ça craint un peu, si je me fais boucler pour folie furieuse on sera pas avancé dans l'affaire. De toute chose bien réjouis, donc, pensée jolie, je te pense sans penser intention ni moyen, pensée pure, donc. Réjouissons-nous qui tue et pensons la vie en boucle, comme un lacet de chaussure. Boucle classique, simple, je précise.
Hier pour la nativité du vieux, dans ce quartier improbable, terminus de la ligne de metropolitan, bout du monde de ce bout de monde, les gens tout bien foutus de folie, les dindes toutes bien fourrées de pisco, dansaient jusque tard dans la nuit, et à minuit oreilles et yeux évoquaient des souvenirs de fin du monde un nouvel an à Shanghai, et une pensée, tiens, la même pensée pure !, c'était une énorme explosion pyrotechnique sur ce bourg de Lima.

MALADROITE ET SANS OSER ENTRER

Je t'écris donc ce mot sachant que je ne te reverrai plus. Jamais plus.
Car même si je devais te recroiser, ce ne serais jamais plus toi, mais un geste ou un courant d'énergie libre, libérée une fois par ton choix, libérée encore par mes mots. Cette liberté arrachée, je réalise qu'elle t'a en fait toujours été acquise. Je me remémore l'avoir vu briller au détour d'une conversation, lors d'une approche maladroite, cette ouverture toute conventionnelle de tous les gens; alors à la question de tes vies sentimentales passées s'était levé un mur, un courant, brève glaciation, puis la rigolade avait repris.

on est pas né dans le même monde. Et pourtant je, tu, nous trompons continuellement. Parce qu’autrement ce n’est pas possible. Parce que la prison, c’est pour les méchants. Parce qu’on dirait qu’on était libre. Allez.

Je pense rigolade, c'est inexact, il s'agissait plutôt de frénésie joyeuse, drôle d'effervescence que j'ai parfois été surpris de trouver, de redécouvrir, ou encore que je suis venu chercher, pour l’arque-bouter contre quelque mauvaise passe de l'humeur. Cette frénésie, j'ai toujours pensé qu'elle ne peut vivre que dans un écrin, dans un moment, par secousses. Repartant fatigué, un lendemain, avec une autre chemise, je me disais : bientôt. Pas tout de suite.

Tu sais ce qu’on va faire toi et moi ? on va se faire un café et se manger une crêpe.
Tu sais ce qu’on va faire toi et moi ? Ben non, moi j’en sais rien. cette nuit, il a plu sur l’oreiller gris. Tu as jeté ta bombe et tu as dormi. les bras croisés, comme un gisant à Cluny. Bras croisés. Cœur fermé, on rouvrira peut-être la saison prochaine ça disait. Ou peut-être jamais.

Mais... Comme tous les mots qu'on écrit peuvent se retourner, et sur eux-même, et contre nous, j'ai aussi envie de dire, plus jamais libérée. Nier ta liberté nouvelle. Car dans notre non-rapport poussait quelque vraie liberté, cristal pur, que l'on enterre. Ce non-truc est apparu, on ne sait pas, a tressauté, a continué, a vivoté, accompagnant cahincaha deux êtres sur deux chemins, au travers de je ne sais quoi. Pour moi, milles expériences, et de fortes, plusieurs vies et quelques morts, mais toujours la même adresse, où à la même fenêtre, le même rhum, la même ivresse.

Moi j’ai regardé dérouler les minutes. silence, le vent claquant le store. jusqu’au 4 coups. Une dernière larme du fond de l’œil, douloureux et brûlant. un sourire glissé sur la patte du chat qui tente l’ascension par la tête du lit.

Ce cristal pur, on le laisse. On le transmute par excès de verbe. Ce verbe que je ne t'ai jamais connu excessif, cherchant parfois à voir à dire à entendre. J'étais surpris un jour à la lecture d'un mail qui ne m'était pas destiné : il y était dit des choses, plusieurs idées, foison, développements. Je rouvre ma besace. Mais !? Concision nécessaire à l'équilibre de notre jeu ? Une autre fois tu étais expansive. Et c'était bien ça : tout sauf pour jouer; tu y parlais de faire affaire sérieuse. Je ne sais pas. J'ai pas dit oui.

Un sourire car je comprends d’un coup toutes les lois de notre anti parallélisme : je m’attache, toi pas. Je te vis, toi pas. Je te cherche, toi pas. je t’espère, toi pas.
J’erre ; tu voyages, je gribouilles, tu écris ; tu butines ; je trompe. tu sais que je ne suis pas ; la. je sais que tu pourrais être ; le.
Tu vis avec ; elles. je survis avec ; eux. tu pars pour vivre. Je vis pour partir.

You're free, c'est comme ça. C'est un choix. C'est un non-choix. C'est le bout de toutes les petites morts mises bout à bout, de ces essais de découverte et corps haletants, étreintes souvent passionnées, jamais dénuées d'une certaine pudeur. De notre sexualité entre parenthèse, évoluant en bulle sans jamais aboutir. Cette rencontre, cette personne, ces jouissances, je me les garde. Avec le cristal grisé et la pensée qui tourne autour, on fera quelque objet baroque qui dans mon royaume de bric et broc charmera, et sera charmé, tour à tour.
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Et le chat repousse, du revers de la patte ces toutes petites choses...

Certifié inapte (in memoriam)

A la base de nos plus belles intentions se trouvent parfois des conflits inavouables, des échecs en instance. A l'origine de cette petite aventure il y avait de fait un net manque d’appétence. Et la conclusion ne fut pas en reste. Cependant, poussé au cul par un profond courant du rêve, je rempilais ce jour là pour une belle débâcle...
L'intention : c'était voler. Nous étions quelques-uns, des élèves, un stage.
Voici l'histoire d'un échec inéluctable, complet, parfait.

A l'épilogue, veille du grand vol, avant dernier jour du stage, rien ne tournait plus rond. Au café du matin l'instructeur annonça qu'Olivier était de nouveau absent pour cause de claquage. Idem Sonia, sa cheville retordue. Pas meilleure nouvelle de Cédric, porté pâle pour une foulure.
Au bilan il ne restait qu'un élève, une victime potentielle, aussi je recomptais rapidement : 2 bras, 2 jambes, tout en tâtant mes membres à la recherche de quelque douleur nouvelle. Mais rien. C'était bien moi, le dernier, seul intact. Une ancienne stagiaire était annoncée, cependant, qui se voulait promise au vol le jour même. M'a-t-elle sauvé ?
Elle est arrivée. Alors on a filé s'entraîner sur la pente école...

C'est comme ça.
On essaie parfois des trucs, rien compliqué, comme se gratter le nez ou traverser la rue. Et ça finit mal. Il suffit d'un rien, il suffit d'un tout. Avant même de commencer l'action, la conclusion s'en trouve déjà pliée, induite par l'origine, par quelque mauvaise alchimie de l'intention.
Ce je ne sais quoi est parfois intangible, mais dès le début, tous voyants au rouge, l'affaire était pliée. Condamnée dès ses prémisses l'expérience de la semaine à venir...
De fait la veille de ce stage de vol libre, Piero s'était tué en deltaplane. Le coquin s'est offert un défaut d'accrochage, cette petite blague qui n'a jamais fait rire personne très longtemps. Cette horreur qui travaille nos imaginations de terribles claques.
Car c'est là tout le charme du delta, par la grâce de la position couchée, d'avoir le mousqueton d'accrochage placé dans le dos. On le voit pas, faut juste y croire jusqu'au moment où l'aile porte. Comme dans cette histoire de chat, où il convient d'ouvrir la boîte pour constater ce qui est mort. Or ce jour là elle a continué sans lui, l'aile, même son client n'a rien pu faire, que constater la chute et continuer le vol, les oreilles vrillées par un cri étrangement bref. Il est parvenu à atterrir indemne. Superbe introït.

Aussi, dès le lendemain, nous autres petits stagiaires attaquions la pente avec un handicap. Nicolas, un de nos instructeurs qui bossait avec Gianpietro, est resté pâle trois jours. Xavier, fondateur de l'école, était étrange. Poussant d'un air triste son fils à s'initier, il annonça dans le même temps qu'il ne volerait plus. Enfin, Béber gardait apparemment la gagne, mais a commencé son topo sur le thème de la chute. Restait plus qu'à porter les ailes, courir, pousser : tellement pas life as usual !
Il a suffit d'une petite heure pour que le premier stagiaire se blesse : voilà pour le claquage d'Olivier, qui l'a poursuivi toute la semaine. Puis au deuxième jour Sonia a commencé à se tuer la cheville, pendant que j'accumulais tôle sur tôle, plantant mon delta avec constance, frappant sans relâche du genou, de la tête, du bras...

« Porte ton aile. Écarte les épaules. Enroule les mains.
Regarde au loin, avec le sourire !
Les pieds dans le même sabot. Voilà. Quand tu veux... »
Injonctions de la radio, voix grave et bien posée de Bernard ou Olivier
« Commence en marchant. Engagement ! Lève les coudes ! Tourne les mains ! Pousse ! »
Premiers envols, délice aérien, premiers balbutiements des pioupious. Après quelques jours il y avait presque un semblant de cohésion, quasiment un groupe, de vagues séries de vols balbutiants. Parfois la radio lançait des bruits incohérents. Alors on restait tous cois, à l'écoute. Gianpietro s'essayant au dialogue dans l'au-delà...

Au quatrième jour, Cédric, notre beau et jeune gagnant, a cessé de s'emmerder avec la troupe. Craignait-il notre concurrence, notre lenteur, ou nos progrès ? Il se mit à enchaîner les vols sans délai, sans se soucier des tours, du service du remonte-aile, de nos essais non advenus. Il a volé dès le lendemain. C'est le seul à y être parvenu. Mais il s'est fait mal à l’atterrissage, bêtement, en levant son delta plié. Voilà pour lui. Voilà pour nous tous : Gianpietro fâché, ne voulant plus voir voler personne...

Le jeudi après-midi était annoncé libre : temps réservé pour une cérémonie à la mémoire du défunt. Le matin on a bricolé sur la pente, c'était bien. Cependant dans le cerveau d'Olivier le petit drapeau rouge remuait en tout sens. C'est alors qu'il a laissé partir en course Aymeric, un adolescent qui nous avait rejoints pour la matinée. Sans l'accrocher. Le regards qu'ont échangé nos instructeurs, alors ! Gianpietro soufflant le froid dans nos dos déjà bien glacés.

Le lendemain, dernier jour, unique survivant. Arrive la petite nouvelle.
Nous voilà partis pour quelques tours de pente école. Épilogue sur fond de prairie verdoyante.
Quatre vols ont suffit, ça n'a pas raté. Ils ont crié. On a couru. Rien de bien utile... Après qu'elle soit repartie en ambulance, j'ignore pourquoi, mais j'y croyais encore. Alors seulement j'ai surpris l'intention de Béber. On rangeait les toiles, il était au téléphone et disait un truc comme : « J'pense qu'on va arrêter là, l'école, l'enseignement, les stages. Ouais. Nan. Ouais, vraiment. Juste envie de rentrer embrasser ma fille, tu vois ».
Puis il s'est tourné vers moi. « Voilà, bon, déso'. On va en rester là. T'avais pas le niveau technique de toute façon. J'ai fait préparer la facture, et cette dernière matinée, c'est pour moi ! ».
Sans autre cérémonie, le stage a pris fin. D'un coup sec.
J'ai recompté mes membres, quatre. Lancé un clin d’œil vers ce là-haut qu'on sait pas très bien dire : merci Piero. Puis redescendu la montagne d'un pas plus léger que jamais.


A LA MÉMOIRE DE GIANPIETRO ZIN, dit Piero
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Pourquoi voler ? Car une fois que vous aurez essayé de voler, vous marcherez sur terre les yeux tournés vers le ciel, car là vous êtes allés, et là il vous tarde de retourner.