- aux frontières du Sabbat

MALADROITE ET SANS OSER ENTRER

Je t'écris donc ce mot sachant que je ne te reverrai plus. Jamais plus.
Car même si je devais te recroiser, ce ne serais jamais plus toi, mais un geste ou un courant d'énergie libre, libérée une fois par ton choix, libérée encore par mes mots. Cette liberté arrachée, je réalise qu'elle t'a en fait toujours été acquise. Je me remémore l'avoir vu briller au détour d'une conversation, lors d'une approche maladroite, cette ouverture toute conventionnelle de tous les gens; alors à la question de tes vies sentimentales passées s'était levé un mur, un courant, brève glaciation, puis la rigolade avait repris.

on est pas né dans le même monde. Et pourtant je, tu, nous trompons continuellement. Parce qu’autrement ce n’est pas possible. Parce que la prison, c’est pour les méchants. Parce qu’on dirait qu’on était libre. Allez.

Je pense rigolade, c'est inexact, il s'agissait plutôt de frénésie joyeuse, drôle d'effervescence que j'ai parfois été surpris de trouver, de redécouvrir, ou encore que je suis venu chercher, pour l’arque-bouter contre quelque mauvaise passe de l'humeur. Cette frénésie, j'ai toujours pensé qu'elle ne peut vivre que dans un écrin, dans un moment, par secousses. Repartant fatigué, un lendemain, avec une autre chemise, je me disais : bientôt. Pas tout de suite.

Tu sais ce qu’on va faire toi et moi ? on va se faire un café et se manger une crêpe.
Tu sais ce qu’on va faire toi et moi ? Ben non, moi j’en sais rien. cette nuit, il a plu sur l’oreiller gris. Tu as jeté ta bombe et tu as dormi. les bras croisés, comme un gisant à Cluny. Bras croisés. Cœur fermé, on rouvrira peut-être la saison prochaine ça disait. Ou peut-être jamais.

Mais... Comme tous les mots qu'on écrit peuvent se retourner, et sur eux-même, et contre nous, j'ai aussi envie de dire, plus jamais libérée. Nier ta liberté nouvelle. Car dans notre non-rapport poussait quelque vraie liberté, cristal pur, que l'on enterre. Ce non-truc est apparu, on ne sait pas, a tressauté, a continué, a vivoté, accompagnant cahincaha deux êtres sur deux chemins, au travers de je ne sais quoi. Pour moi, milles expériences, et de fortes, plusieurs vies et quelques morts, mais toujours la même adresse, où à la même fenêtre, le même rhum, la même ivresse.

Moi j’ai regardé dérouler les minutes. silence, le vent claquant le store. jusqu’au 4 coups. Une dernière larme du fond de l’œil, douloureux et brûlant. un sourire glissé sur la patte du chat qui tente l’ascension par la tête du lit.

Ce cristal pur, on le laisse. On le transmute par excès de verbe. Ce verbe que je ne t'ai jamais connu excessif, cherchant parfois à voir à dire à entendre. J'étais surpris un jour à la lecture d'un mail qui ne m'était pas destiné : il y était dit des choses, plusieurs idées, foison, développements. Je rouvre ma besace. Mais !? Concision nécessaire à l'équilibre de notre jeu ? Une autre fois tu étais expansive. Et c'était bien ça : tout sauf pour jouer; tu y parlais de faire affaire sérieuse. Je ne sais pas. J'ai pas dit oui.

Un sourire car je comprends d’un coup toutes les lois de notre anti parallélisme : je m’attache, toi pas. Je te vis, toi pas. Je te cherche, toi pas. je t’espère, toi pas.
J’erre ; tu voyages, je gribouilles, tu écris ; tu butines ; je trompe. tu sais que je ne suis pas ; la. je sais que tu pourrais être ; le.
Tu vis avec ; elles. je survis avec ; eux. tu pars pour vivre. Je vis pour partir.

You're free, c'est comme ça. C'est un choix. C'est un non-choix. C'est le bout de toutes les petites morts mises bout à bout, de ces essais de découverte et corps haletants, étreintes souvent passionnées, jamais dénuées d'une certaine pudeur. De notre sexualité entre parenthèse, évoluant en bulle sans jamais aboutir. Cette rencontre, cette personne, ces jouissances, je me les garde. Avec le cristal grisé et la pensée qui tourne autour, on fera quelque objet baroque qui dans mon royaume de bric et broc charmera, et sera charmé, tour à tour.
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Et le chat repousse, du revers de la patte ces toutes petites choses...